mardi 10 février 2015



II – L'homogamie sociale : un phénomène en recul

A- Homogamie forte jusqu'au milieu du XX ième siècle


L'homogamie, c'est à dire la tendance à vivre en couple avec une personne socialement proche s'est maintenue car les personnes qui se ressemblent fréquentent souvent les mêmes lieux dans la vie quotidienne et les loisirs.
Comme le résume Michel Bozon, le prince et la bergère ont peu de chances de se rencontrer dans la vraie vie.
Derrière la multiplicité des scènes de rencontre se fait jour une logique sociale qui est celle de l'homogamie. L'opposition des lieux publics et des lieux réservés et celle des lieux réservés et des lieux privés tend à augmenter la segmentation. Cela est accru par le fait que les classes supérieures évitent la foule, les lieux ouverts, ce qui pourraient les faire rencontrer d'autres gens.
Dans un lieu de rencontre atypique, la rencontre a des chances d'être atypique. Hors des lieux de rencontre appréciés du milieu traditionnel, les chances de rencontrer une personne de même origine sociale diminuent. En effet, les bals, les foires peuvent représenter des lieux de perdition pour les enfants de cadres où ils rencontreront moins de gens comme eux. Pareil pour les enfants d'ouvriers dans des lieux d'études supérieures ou des clubs sportifs.
Ces strates tendent à protéger de plus en plus les jeunes issus des milieux où le capital « intellectuel » puis «  économique » est important.
On a l'impression que leur milieu d'origine souhaite leur épargner de « mauvaises rencontres ». La règle est de ne fréquenter que des personnes « comme il faut », avec lesquelles il n'y aura pas de mauvaises surprises. C'est pourquoi les milieux sociaux se côtoient et s'interpénètrent, tout en restant relativement imperméables les uns à l'égard des autres. Si l'on prend l'exemple de la rue, aucun milieu social ne voudrait que son rejeton   fréquente la rue, c'est à dire des personnes d'autres milieux.
Au bal du 14 juillet ou au centre commercial où l'on va passer son samedi après-midi, tout est en apparence ouvert mais toutes les catégories de personnes ne s'y trouvent pas.
Dans une bibliothèque universitaire, on peut rencontrer des gens que l'on ne connaît pas, mais un filtre existe: il faut posséder une carte d'étudiant, avec des centres d'intérêt et des compétences. On a déjà affaire à un public sélectionné.
A la garden party de la Comtesse dans son château, chaque invité est connu. La part du hasard de rencontre est insignifiante.
Notre société représente le choix amoureux comme le domaine par excellence où s'exerce la liberté individuelle contre les contraintes sociales, explicites ou non ( Bozon et Héran : 1987).
Il serait possible de s'avouer que ces choix sont amenés, suggérés en quelque sorte par son groupe social d'appartenance. 
Au mariage de raison, à l'alliance des familles qui durant des siècles ont déterminé les unions, a succédé un contrat matrimonial fondé sur la spontanéité, l'attrait et la satisfaction mutuelle. Mais le choix de l'homogamie n'a pas disparu et n'en est que plus puissant : jamais énoncé, jamais discuté, il exerce une influence souterraine et son pouvoir surpasse souvent celui des décisions individuelles. Si l'amour, au cours du XX  ième siècle est devenu le socle des unions, il ne peut pas toujours s'opposer aux lois d'appartenances sociales. En effet, les différences de goûts, de valeurs et de normes de langage, de comportements expliquent le phénomène d'homogamie. La socialisation est différente selon les milieux sociaux : ici on apprendra aux garçons à faire le baise-main ou le nœud de cravate, là à être plutôt viril et bagarreur. Ici on ira au musée avec les enfants, là plutôt à Eurodisney...Toutes ces différences d'éducation vont générer des goûts, des préférences, des comportements, des attitudes et des valeurs différents selon les milieux sociaux, facilitant les « coups de foudre » homogames et rendant peu probable les contes à la Cendrillon....car comme l'écrivait le sociologue Pierre Bourdieu : «  on a du goût pour ceux qui ont les mêmes goûts » retrouvant là le dicton : «  qui se ressemble s'assemble ». 
La sociabilité bourgeoise crée des occasions de rencontre entre jeunes gens : vente de charité, activités sportives....Les "bals blancs" sont organisés exclusivement pour les garçons et les filles à marier; "blancs" parce que les jeunes filles sont toutes de blanc vêtues, symbole d'innocence et de virginité pour leur entrée dans le monde. Les mères sont là pour garantir la bonne tenue générale, évaluer les dots et comparer les partis en présence.
Ce fut le cas des parents de Simone De Beauvoir, de ceux de Jacques Chastenet, entre autres.
Ces mariages fondés sur les convenances n'impliquaient pas forcément la négation des sentiments. A cette époque, l'appartenance politique et religieuse était aussi à prendre en compte.
L' homogamie se présente alors comme le processus et le résultat d'une «  institution » située au cœur de l'idéologie des sociétés libérales contemporaines.
Nous pouvons développer comme approche l'analyse des processus concrets de rencontre et de mise en couple aboutissant à l'homogamie.
 En effet, en 1999, près d'un couple sur trois est composé de deux personnes de même position sociale, soit deux fois plus que si les couples s'étaient formés au hasard. Cette proportion est un peu moins forte que celle constatée dans les années 30/40.
L'évolution de l'homogamie peut s'expliquer en partie par l'évolution de la structure socio-professionnelle de la population. Il reste difficile aujourd'hui de dire si les hommes et les femmes se mettent plus ou moins en couple que par le passé avec un conjoint de la même catégorie socio-professionnelle. Malgré l’élévation du niveau d'études, la tendance à l'homogamie en terme de niveau d'études s'est affaiblie.
La proportion des couples d'homogames est calculée sur l'ensemble des couples, y compris ceux composés d'au moins un conjoint n'ayant jamais travaillé. Par exemple, un couple où l'homme est ouvrier et la femme a toujours été inactive est considéré comme un couple hétérogame alors qu'un couple composé de deux personnes pas encore entrées dans la vie active (étudiants) est considéré comme homogame.
Or, au cours des 70 dernières années, le taux d'activité professionnel des femmes s'est fortement accru : dans 18% des couples formés dans les années 30/40, la femme n'a jamais travaillé contre 5% des couples constitués dans les années 80.



B- Que dire de la mixité sociale ?

Mare, Kalmijin, Forsé et Chauvel notent une réduction de l'homogamie liée à l'origine sociale, contestée en 2006 Vanderschelden, qui penche plutôt pour un accroissement de l'importance de l'éducation qui se traduirait par une proximité culturelle ou par des rencontres sur les bancs de l'université.
Les tentatives de mesure de l'homogamie, parties d'idées relativement simples comme la lecture de tables d'homogamie fondées sur des pourcentages, ont rapidement exigé des développements plus détaillés, avec des méthodes variées et de plus en plus complexes.
Face aux transformations moyennes de la structure socio-professionnelle et éducative de la population, la comparaison des taux d'homogamie n'offre qu'une information partielle sur la persistance ou l'évolution des comportements réels. C'est pourquoi, à partir des années 1990, le recours à des familles modèles a permis non seulement de mesurer l'évolution temporelle de l'homogamie nette des variations structurelles mais aussi d'arrêter de la considérer au sens strict, comme diagonale d'une table.
Grâce aux modèles de franchissement de Jonhson en 1981, de Mare en 1991 et en 2005 de Blackwell et de Lichter en 2000,2004, il est désormais possible de mesurer les proximités entre groupes sociaux.
Les sociologues Skopek, Schulz et Blossfeld en 2011 ont pu vérifier que les individus les plus diplômés et particulièrement les femmes, ont une tendance à contacter de potentiels partenaires de même niveau d'éducation. L'homogamie serait donc plus le résultat préférences des individus que du cloisonnement des univers sociaux qui limitent les possibilités de rencontre.


En France, en 2013, sur 1000 agriculteurs en couple 564 avaient une conjointe agricultrice et 5 une conjointe cadre.
L'homogamie sociale se repère dans la diagonale où est représenté la part des couples formés de 2 conjoints appartenant à la même PCS (professions et catégories socioprofessionnelles). 

L'évolution des taux d'homogamie calculé sur les couples de deux personnes ayant eu une activité professionnelle passe de 42% pour les unions des années 30/40 à 31% pour celles commencées dans les années 90.
Cette évolution a l'air d'être fortement liée à la structure socio-professionnelle de la population.




Les comportements ont un peu changé au fil des années pour chaque catégorie socio-professionnelle : les agriculteurs et les indépendants sont moins homogames que par le passé alors que les cadres et les ouvriers le sont davantage. Mais dans l'ensemble, on observe à peu près autant d'homogamie des années 30/40 aux années 90.
En 1999, un peu plus d'un couple sur cinq est composé de deux personnes ayant un niveau collège, CAP, BEP.





A cette date, cette situation est courante car elle concerne plus d'un homme sur cinq et plus d'une femme sur trois. Au total, 56% des couples sont constitués de deux conjoints de même niveau d'études. Il existe donc une tendance à l'homogamie : les hommes et les femmes s'unissent le plus souvent avec un conjoint de même niveau d'études, quel que soit le niveau d'études.
Dans 1/3 de l'ensemble des couples ( tableau ci dessus), le niveau d'études de l'homme est immédiatement supérieur ou inférieur à celui de sa conjointe. Les couples au niveau d'études éloignés ne représentent que 12% de l'ensemble des couples. Les couples composés des deux extrêmes ( arrêt des études pour l'un et poursuite dans le supérieur pour l'autre) sont très rares : 2% de l'ensemble des couples de 2003 à 2010.
Dans un peu plus d'un couple sur cinq en 1999, l'homme a un niveau d'études supérieur à celui de sa conjointe (autrefois les hommes étaient plus diplômés que les femmes, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui). Aujourd'hui c'est l'inverse. En effet, les personnes de niveau école primaire sont devenues rares et cela expliquerait peut être la hausse de l'homogamie pour ce niveau d'études à partir des années 70. L'affaiblissement de la tendance à l'homogamie pour les autres niveaux d'études pourrait correspondre davantage à un changement dans les mentalités.
Les personnes ayant fait des études supérieures n'apparaissent pas forcément homogames.
Les femmes en général tendent à se marier « vers le haut ».
Un couple à 1,5 fois plus de chance d'être composé de deux personnes de même niveau d'études si la position sociale des deux conjoints est la même.
L'effet de l'homogamie socio-professionnelle sur la ressemblance en terme de niveau d'études est nettement plus marquée pour les cadres, les ouvriers, les agriculteurs que pour les employés, les indépendants et les inactifs.
Pour les couples à deux nationalités, la différence de niveau d'études des deux conjoints est plus fréquente.
Souvent les conjoints ont le même niveau d'études ou la même catégorie socio-professionnelle, mais aussi le même âge, le même lieu de naissance ou la même nationalité. 82% des couples sont composés de deux conjoints nés en France, souvent dans le même département. Les couples composés d'aucune caractéristique en commun sont très rares : moins de 1% de l'ensemble des couples .

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