II –
L'homogamie sociale : un phénomène en recul
A-
Homogamie forte jusqu'au milieu du XX ième siècle
L'homogamie,
c'est à dire la tendance à vivre en couple avec une personne
socialement proche s'est maintenue car les personnes qui se
ressemblent fréquentent souvent les mêmes lieux dans la vie
quotidienne et les loisirs.
Comme
le résume Michel Bozon, le prince et la bergère ont peu de chances
de se rencontrer dans la vraie vie.
Derrière
la multiplicité des scènes de rencontre se fait jour une logique
sociale qui est celle de l'homogamie. L'opposition des lieux
publics et des lieux réservés et celle des lieux réservés et des
lieux privés tend à augmenter la segmentation. Cela est accru par
le fait que les classes supérieures évitent la foule, les lieux
ouverts, ce qui pourraient les faire rencontrer d'autres gens.
Dans
un lieu de rencontre atypique, la rencontre a des chances d'être
atypique. Hors des lieux de rencontre appréciés du milieu
traditionnel, les chances de rencontrer une personne de même origine
sociale diminuent. En effet, les bals, les foires peuvent représenter
des lieux de perdition pour les enfants de cadres où ils
rencontreront moins de gens comme eux. Pareil pour les enfants
d'ouvriers dans des lieux d'études supérieures ou des clubs
sportifs.
Ces
strates tendent à protéger de plus en plus les jeunes issus des
milieux où le capital « intellectuel » puis «
économique » est important.
On
a l'impression que leur milieu d'origine souhaite leur épargner de
« mauvaises rencontres ». La règle est de ne fréquenter
que des personnes « comme il faut », avec lesquelles il
n'y aura pas de mauvaises surprises. C'est pourquoi les milieux
sociaux se côtoient et s'interpénètrent, tout en restant
relativement imperméables les uns à l'égard des autres. Si l'on
prend l'exemple de la rue, aucun milieu social ne voudrait que son
rejeton fréquente la rue, c'est à dire des personnes d'autres
milieux.
Au
bal du 14 juillet ou au centre commercial où l'on va passer son
samedi après-midi, tout est en apparence ouvert mais toutes les
catégories de personnes ne s'y trouvent pas.
Dans
une bibliothèque universitaire, on peut rencontrer des gens que l'on
ne connaît pas, mais un filtre existe: il faut posséder une carte
d'étudiant, avec des centres d'intérêt et des compétences. On a
déjà affaire à un public sélectionné.
A
la garden party de la Comtesse dans son château, chaque invité est
connu. La part du hasard de rencontre est insignifiante.
Notre
société représente le choix amoureux comme le domaine par
excellence où s'exerce la liberté individuelle contre les
contraintes sociales, explicites ou non ( Bozon et Héran :
1987).
Il
serait possible de s'avouer que ces choix sont amenés, suggérés en
quelque sorte par son groupe social d'appartenance.
Au
mariage de raison, à l'alliance des familles qui durant des siècles
ont déterminé les unions, a succédé un contrat matrimonial fondé
sur la spontanéité, l'attrait et la satisfaction mutuelle. Mais le
choix de l'homogamie n'a pas disparu et n'en est que plus puissant :
jamais énoncé, jamais discuté, il exerce une influence souterraine
et son pouvoir surpasse souvent celui des décisions individuelles.
Si l'amour, au cours du XX ième siècle est devenu le socle des
unions, il ne peut pas toujours s'opposer aux lois d'appartenances
sociales. En effet, les différences de goûts, de valeurs et de
normes de langage, de comportements expliquent le phénomène
d'homogamie. La socialisation est différente selon les milieux
sociaux : ici on apprendra aux garçons à faire le baise-main ou le
nœud de cravate, là à être plutôt viril et bagarreur. Ici on ira
au musée avec les enfants, là plutôt à Eurodisney...Toutes ces
différences d'éducation vont générer des goûts, des préférences,
des comportements, des attitudes et des valeurs différents selon les
milieux sociaux, facilitant les « coups de foudre »
homogames et rendant peu probable les contes à la Cendrillon....car
comme l'écrivait le sociologue Pierre Bourdieu : « on a du
goût pour ceux qui ont les mêmes goûts » retrouvant là le
dicton : « qui se ressemble s'assemble ».
La sociabilité bourgeoise crée des occasions de rencontre entre jeunes gens : vente de charité, activités sportives....Les "bals blancs" sont organisés exclusivement pour les garçons et les filles à marier; "blancs" parce que les jeunes filles sont toutes de blanc vêtues, symbole d'innocence et de virginité pour leur entrée dans le monde. Les mères sont là pour garantir la bonne tenue générale, évaluer les dots et comparer les partis en présence.
Ce fut le cas des parents de Simone De Beauvoir, de ceux de Jacques Chastenet, entre autres.
Ces mariages fondés sur les convenances n'impliquaient pas forcément la négation des sentiments. A cette époque, l'appartenance politique et religieuse était aussi à prendre en compte.
L'
homogamie se présente alors comme le processus et le résultat d'une
« institution » située au cœur de l'idéologie des
sociétés libérales contemporaines.
Nous
pouvons développer comme approche l'analyse des processus concrets
de rencontre et de mise en couple aboutissant à l'homogamie.
En effet, en
1999, près d'un couple sur trois est composé de deux
personnes de même position sociale, soit deux fois plus que si les
couples s'étaient formés au hasard. Cette proportion est un peu
moins forte que celle constatée dans les années 30/40.
L'évolution
de l'homogamie peut s'expliquer en partie par l'évolution de la
structure socio-professionnelle de la population. Il reste difficile
aujourd'hui de dire si les hommes et les femmes se mettent plus ou
moins en couple que par le passé avec un conjoint de la même
catégorie socio-professionnelle. Malgré l’élévation du niveau
d'études, la tendance à l'homogamie en terme de niveau d'études
s'est affaiblie.
La
proportion des couples d'homogames est calculée sur l'ensemble des
couples, y compris ceux composés d'au moins un conjoint n'ayant
jamais travaillé. Par exemple, un couple où l'homme est ouvrier et
la femme a toujours été inactive est considéré comme un couple
hétérogame alors qu'un couple composé de deux personnes pas encore
entrées dans la vie active (étudiants) est considéré comme
homogame.
Or, au cours des 70 dernières années, le taux d'activité professionnel
des femmes s'est fortement accru : dans 18% des couples formés
dans les années 30/40, la femme n'a jamais travaillé contre 5% des
couples constitués dans les années 80.
B-
Que dire de la mixité sociale ?
Mare,
Kalmijin, Forsé et Chauvel notent une réduction de l'homogamie
liée à l'origine sociale, contestée en 2006 Vanderschelden, qui
penche plutôt pour un accroissement de l'importance de l'éducation
qui se traduirait par une proximité culturelle ou par des rencontres
sur les bancs de l'université.
Les
tentatives de mesure de l'homogamie, parties d'idées relativement
simples comme la lecture de tables d'homogamie fondées sur des
pourcentages, ont rapidement exigé des développements plus
détaillés, avec des méthodes variées et de plus en plus
complexes.
Face
aux transformations moyennes de la structure socio-professionnelle et
éducative de la population, la comparaison des taux d'homogamie
n'offre qu'une information partielle sur la persistance ou
l'évolution des comportements réels. C'est pourquoi, à partir des
années 1990, le recours à des familles modèles a permis non
seulement de mesurer l'évolution temporelle de l'homogamie nette des
variations structurelles mais aussi d'arrêter de la considérer au
sens strict, comme diagonale d'une table.
Grâce
aux modèles de franchissement de Jonhson en 1981, de Mare en 1991 et
en 2005 de Blackwell et de Lichter en 2000,2004, il est désormais
possible de mesurer les proximités entre groupes sociaux.
Les
sociologues Skopek, Schulz et Blossfeld en 2011 ont pu vérifier que
les individus les plus diplômés et particulièrement les femmes,
ont une tendance à contacter de potentiels partenaires de même
niveau d'éducation. L'homogamie serait donc plus le résultat
préférences des individus que du cloisonnement des univers sociaux
qui limitent les possibilités de rencontre.
En France, en 2013, sur 1000 agriculteurs en couple 564 avaient une conjointe agricultrice et 5 une conjointe cadre.
L'homogamie sociale se repère dans la diagonale où est représenté la part des couples formés de 2 conjoints appartenant à la même PCS (professions et catégories socioprofessionnelles).
L'évolution
des taux d'homogamie calculé sur les couples de deux personnes ayant
eu une activité professionnelle passe de 42% pour les unions des
années 30/40 à 31% pour celles commencées dans les années 90.
Cette
évolution a l'air d'être fortement liée à la structure
socio-professionnelle de la population.
Les
comportements ont un peu changé au fil des années pour chaque
catégorie socio-professionnelle : les agriculteurs et les
indépendants sont moins homogames que par le passé alors que les
cadres et les ouvriers le sont davantage. Mais dans l'ensemble, on
observe à peu près autant d'homogamie des années 30/40 aux années
90.
En
1999, un peu plus d'un couple sur cinq est composé de deux personnes
ayant un niveau collège, CAP, BEP.
A
cette date, cette situation est courante car elle concerne plus d'un
homme sur cinq et plus d'une femme sur trois. Au total, 56% des
couples sont constitués de deux conjoints de même niveau d'études.
Il existe donc une tendance à l'homogamie : les hommes et les
femmes s'unissent le plus souvent avec un conjoint de même niveau
d'études, quel que soit le niveau d'études.
Dans
1/3 de l'ensemble des couples ( tableau ci dessus), le niveau d'études de
l'homme est immédiatement supérieur ou inférieur à celui de sa
conjointe. Les couples au niveau d'études éloignés ne représentent
que 12% de l'ensemble des couples. Les couples composés des deux
extrêmes ( arrêt des études pour l'un et poursuite dans le
supérieur pour l'autre) sont très rares : 2% de l'ensemble des
couples de 2003 à 2010.
Dans
un peu plus d'un couple sur cinq en 1999, l'homme a un niveau
d'études supérieur à celui de sa conjointe (autrefois les hommes
étaient plus diplômés que les femmes, ce qui n'est plus le cas
aujourd'hui). Aujourd'hui c'est l'inverse. En effet, les personnes de
niveau école primaire sont devenues rares et cela expliquerait peut
être la hausse de l'homogamie pour ce niveau d'études à partir des
années 70. L'affaiblissement de la tendance à l'homogamie pour les
autres niveaux d'études pourrait correspondre davantage à un
changement dans les mentalités.
Les
personnes ayant fait des études supérieures n'apparaissent pas
forcément homogames.
Les
femmes en général tendent à se marier « vers le haut ».
Un
couple à 1,5 fois plus de chance d'être composé de deux personnes
de même niveau d'études si la position sociale des deux conjoints
est la même.
L'effet
de l'homogamie socio-professionnelle sur la ressemblance en terme de
niveau d'études est nettement plus marquée pour les cadres, les
ouvriers, les agriculteurs que pour les employés, les indépendants
et les inactifs.
Pour
les couples à deux nationalités, la différence de niveau d'études
des deux conjoints est plus fréquente.
Souvent les
conjoints ont le même niveau d'études ou la même catégorie
socio-professionnelle, mais aussi le même âge, le même lieu de
naissance ou la même nationalité. 82% des couples sont composés
de deux conjoints nés en France, souvent dans le même département.
Les couples composés d'aucune caractéristique en commun sont très
rares : moins de 1% de l'ensemble des couples .